La belle réparation
Je vous partage un court reportage présentant une personne d’origine japonaise qui a développé l’art de réparer des objets cassés: le Kintsugi!
Lorsque brisés, les morceaux d’un vase peuvent être remis en place, recollés, laqués, saupoudrés de poudre d’or ou d’argent. Parfois, le processus de reconstruction est long et il faut s’armer de patience pour finalement s’attendre à découvrir un nouvel objet à partir de l’ancien. Impossible de revenir en arrière. Une nouvelle pièce parfois plus belle, plus résistante que l’ancienne est reconstituée. Une chose est certaine: cette pièce sera unique!
Au cours de notre existence, certaines parties de notre être peuvent se fractionner, se briser. Des rencontres explosives, des manipulations brutales, des attitudes menaçantes, des blessures d’enfance, des égratignures accumulées, des rejets, des abandons, des déceptions, des trahisons, des accidents, des attentes non comblées, des maladies et bien d’autres situations peuvent casser la personne que nous étions au départ.
Une de nos principales réactions à ces « imperfections » et à ces vulnérabilités créées par la force de la vie et du temps consistera à les camoufler. Chirurgie plastique, multiples thérapies de tout genre, isolement, entrainement extrême, compétition malsaine, vêtement coûteux, maquillage trop prononcé, etc.
Dans la vidéo, le bris est traité avec soin et respect. Il est révélé comme faisant partie de son histoire. On ne cherche pas à le camoufler.
En effet, l’imperfection est acceptée et fait partie de ce nouvel objet reconstruit à partir de ce qui est. Toute l’attention est portée sur les failles, les fissures et les imperfections qui brillent par leur présence et offrent finalement un nouvel aspect, unique et propre à l’objet. Les imperfections marquent d’ailleurs sa grande valeur.
Contrairement à ce dont on a l’habitude de faire, soit de cacher l’imperfection, on la met en évidence et en valeur. Cette marque en devient une distinctive que nous pouvons porter avec fièreté.
Cette philosophie qui consiste à accepter l’imperfection et même à l’honorer s’appelle le wabi-sabi en japonais. Elle nous rappelle que tout est impermanent. Que rien ne demeure dans son état originel, que tout se transforme sous les forces naturelles de la vie. Elle nous rappelle que l’imperfection mérite d’être acceptée, qu’elle participe à création de notre existence qui elle, est parfaite!
N’est-ce pas là une philosophie remplie de sagesse et d’espoir en la vie? En changeant notre perspective, on peut percevoir que la vie ne nous brise pas, mais nous forge ce qui permet de nous recréer en quelque sorte. Nous devenons ainsi des êtres humains vivants, adaptés, forts, intégrés et complets.
Être brisé, c’est difficile! Toutefois, il est possible, selon le wabi-sabi, de se réparer en portant une attention particulière à chacune de nos blessures, de nos fêlures et de nos fractures. Accepter l’imperfection de notre existence est un acte qui permet de percevoir, à un niveau plus profond, sa perfection.
Et puis, il faut savoir que la nature participe à notre réparation. En cas de blessure, tout le système s’active pour la réparer. De nouvelles cellules et tissus seront formés par l’action de certains mécanismes cellulaires et selon un processus complexe. Une réparation aura lieu. Le résultat sera différent de l’état originel; une cicatrice pourra être visible, une démarche modifiée, une vision réorganisée, etc.
Chez les personnes non voyantes par exemple, certaines zones du cerveau se réorganisent pour compenser la perte de la vision. Le cortex visuel va déléguer certaines de ses fonctions au cortex auditif. La dimension de l’hippocampe et de l’insula augmentera ce qui permettra d’améliorer leur activité en lien avec l’orientation spatiale. Ceci est un bel exemple de plasticité cérébrale qui s’active pour s’adapter à une situation.
Notre système physiologique est conçu pour permettre la réparation.
Lorsque j’étais petite, tout se réparait: le grille-pain, les téléviseurs, les radios, tout! On amenait l’appareil chez le technicien et après quelques jours nous allions le récupérer. Il fonctionnait très bien et le réparateur prenait soin de nous expliquer ce qu’il avait réparé et les pièces qu’il avait changées.
De nos jours, presque plus rien ne se répare. Une fois brisés, nous jetons ou faisons récupérer nos appareils. Puis, curieusement, la durée de vie de ces derniers a diminué de manière incompréhensible. Nous en achetons régulièrement des neufs encore plus performants que nous conservons jusqu’à ce qu’ils ne répondent plus à nos attentes ou qu’ils soient « dépassés » par la technologie actuelle.
Tout ceci semble correspondre à l’idée de la perfection à atteindre avec du neuf et du nouveau; le vieux, le brisé perdant de leur valeur.
Pourtant, en tant qu’être humain doté de cette capacité d’auto réparation, regarder, accepter et réparer ce qui est brisé en nous, peut nous aider à nous propulser vers une nouvelle vie reconstruite à partir de ce qui est, de la réalité. On assiste alors à une force et à une beauté rendues visibles grâce aux fêlures.
La beauté n’est pas simplement un beau visage symétrique aux formes équilibrées ou un corps aux lignes attendues par la norme établie. La beauté complète et durable repose sur la vraie nature de chaque personne; sa capacité à faire face aux intempéries de l’existence, sa résilience, son attitude positive, son empathie, compassion, son habileté à demeurer cohérentes avec elle-même, son ouverture sur les autres, sa confiance en la vie, sa force intérieure, son unicité, sa capacité à apprécier la vie, sa gentillesse, etc.
La vraie beauté comprend beaucoup plus d’éléments que les simples standards morphologiques et superficiels prônés par la société. Elle va beaucoup plus loin que cela.
Rumi a également dit : « La blessure est l’endroit où la lumière entre en vous! »
Cette lumière est celle de toute l’attention que nous portons sur cette blessure. C’est ainsi que nous pouvons la faire briller, la mettre en évidence comme le fait l’artisan avec la poudre d’or déposée sur le vase et frottée délicatement avec un chiffon.
Accepter les imperfections de notre existence c’est accepter de faire partie de cette incroyable valse qu’est la vie elle-même; c’est un acte d’amour envers soi-même et envers la vie aussi.
Honorer les imperfections de notre existence c’est dire oui à cette aventure qu’est notre vie avec ses hauts et ses bas, ses instants de béatitudes et d’incertitude, ses journées très tendues et ses moments de calme mental.
C’est ainsi que la vraie perfection s’exprime.
Cette beauté naturelle, imprévisible, irrégulière, parfois asymétrique et sans prétention émane de l’expérience vécue.
Être humain? Quel privilège finalement avec ou sans nos petites et grandes fissures créées par les forces de la vie et du temps.